Tableau de Rudy Zeerman
Après la défaite en juin 40, la signature de l'armistice et le début de la collaboration avec l'occupant, la France est partagée en deux.
La victoire du franquisme et du nazisme en Europe accroit les persécutions et pousse les opposants, les juifs et par la suite tous ceux qui voudront continuer la lutte à chercher refuge dans les pays neutres ou alliés. Leur objectif sera de franchir la frontière Pyrénéenne afin de gagner une ambassade amie.
A partir de 1940 des réseaux d'évasion Anglais, Belges et Polonais se constituent pour rapatrier leurs combattants, auxquels se joignent les premiers français répondant à l'appel du Général de Gaulle.
Les difficultés sont nombreuses, les problèmes de météo de montagne, d'itinéraires, renforcés par la surveillance de fonctionnaires dépendant du gouvernement de Vichy entraînent l'utilisation de passeurs.
Dès 1942 leur missions seront de plus en plus difficiles. Le retournement de situation en faveur des alliés s'accompagne d'un durcissement de la répression Allemande.
Consécutivement au débarquement allié en Afrique du Nord les Allemands envahissent en novembre la zone non occupée dont l'Ariège. Ils s'imposent comme seule force de surveillance dans les Pyrénées et renforcent les contrôles.
En février 43 une zone interdite sera créée.
L'occupation de la zone libre, les arrestations se multiplient ainsi que les tentatives d'évasion et les contrôles.
Tous ces facteurs augmentent les risques d'être arrêté et contribuent à accroître les risques encourus par les passeurs.
Ils arriveront cependant à permettre l'évasion de 30 000 personnes à travers les Pyrénées (3000 dans le Couserans).
Plus de la moitié de ces guides (1000 environs) paieront un lourd tribu à leur engagement pour la liberté (blessés, accident en montagne, tués en mission, déportés et morts en déportation).
Ces passeurs, combattants sans uniforme ont pris une part active dans la résistance au nazisme en participant activement aux évasions et au rétablissement de la liberté et de la démocratie dans notre pays.
Comment comprendre aujourd’hui cette période tragique ?
Paul Broué, seixois d’origine fut l’un de ces résistants. Il a accepté de nous
parler et d’évoquer ici pour nous son enfance, son adolescence brutalement écourtées par ce temps douloureux d’une guerre sans merci où plane encore le souvenir d’amis, hélas aujourd’hui
disparus.
Le père de Paul, Régis, né en 1887, bien qu’ancien séminariste formé à Pamiers, a
préféré l’exil à la soutane : il choisit de rejoindre son frère aîné Léopold aux Etats-Unis où ce dernier exerce depuis quelque temps déjà le métier de cuisinier. Régis lui devient
laveur de vitres dans les buildings.
Mais la déclaration de guerre, en 1914, fait revenir les deux frères en France
pour s’engager dans l’armée. Tous deux seront
gravement blessés lors de cette terrible guerre.
C’est pendant sa convalescence que le père de Paul connaîtra sa future femme,
Gabrielle, originaire de Levallois-Perret…De cette union naîtront deux enfants : Odette, la sœur aînée de Paul, née en 1920 et Paul qui naîtra, lui, le 9 juillet 1923 à Seix.
A cette époque, la vie à Seix était rude, difficile.
Seix à cette époque
Le climat montagnard, le sol aride, le peu de richesses rendaient la majeure partie des
familles dépendantes de l’élevage de quelques vaches et moutons en plus de petites cultures dont, notamment, celle de la pomme-de-terre !
Le développement du colportage dans la région s’explique d’ailleurs ainsi, par ce souci
d’améliorer de maigres revenus et donc de tenter d’élever un peu le niveau de vie des familles qui souffraient de la précarité.
Les artisans existants exerçaient eux aussi des métiers motivés par la ruralité
montagnarde et tournés bien souvent vers les activités agro-pastorales, des métiers qui pour certains sont aujourd’hui en totale voie d’extinction comme celui de forgeron, de bourrelier, ou
encore de maréchal ferrant.
La seule industrie de proximité, à Seix, était alors la filature de laine du Campot où la laine des moutons était traitée, la tonte des moutons se renouvelant à chaque printemps et fournissant à cette usine sa matière première. L’autre grand employeur du village était à cette époque la fromagerie de Seix.
Fromagerie quartier de la Barraque Filature de laine quartier de Bagnères
Dans le village de Seix, les déplacements se faisaient encore majoritairement à pied ou en vélo, l’âne et la mule étant les bêtes de bât. Il n’ y avait que très peu de voitures à cette époque mais, Paul se souvient qu’un car à impériale assurait la liaison régulière entre Seix et Saint Girons, les jours de foires et de marché. Des voitures attelées de chevaux assuraient également cette liaison.
Les parents de Paul Broué tenaient quant à eux une pension de famille située rue de Pujole
C’est là le cadre de vie de Paul quand il fréquente l’école primaire de Seix et quand, il obtient, en 1937, son certificat d’études.
A la rentrée suivante, en octobre 1938, Paul intègre l’école primaire supérieure de Mirepoix, section technique, il y obtiendra bientôt un C.A.P.
d’ajusteur-mécanicien.
Rigueur et discipline de fer sont alors de mise !
Le père de Paul qui l’accompagne au pensionnat, sympathise avec le directeur de l’école, Monsieur Rouquette, également blessé pendant la guerre de 14
-18.
1938… c’est, faut-il le rappeler ici ? une époque charnière historiquement parlant, une époque particulièrement dense, lourdement chargée en événements
!
En France, c’est l’époque qui fait immédiatement suite au Front populaire : le député François Camel vient d’ailleurs à Seix où il rencontre le maire Auguste
Simonin, pharmacien de son état, celui-là même qui sera un peu plus tard destitué par Pétain et remplacé par une «délégation spéciale», présidée par Hubert Rocher.
Le père de Paul était là lui aussi, Paul s’en souvient.
Mais, de l’autre côté des montagnes, on entend toujours tonner les canons espagnols :
c’est que la guerre civile continue de faire rage à seulement quelques kilomètres de là, de l’autre côté de la frontière !
Le 26 janvier 1939 Barcelone tombe aux mains des franquistes. Les
vaincus, ce sont les Républicains, après trois ans d’une guerre civile qui a ensanglanté toute l’Espagne. Poussés par la mitraille, civils, militaires fuient vers la frontière pour se réfugier en
France. Le 27 janvier la frontière est ouverte, les premiers réfugiés civils entrent en France, pendant que les derniers combattants continuent la lutte jusqu’au début du mois de février où sonne
l’heure de la Retirada. Devant l’arrivée de près d’un demi million de personnes, les autorités françaises choisiront de concentrer les
réfugiés près de la frontière pour éviter qu’ils ne se dispersent et pouvoir ainsi mieux les contrôler…
939 donc, lors de la Retirada, des Républicains espagnols affluent
par le port de Salau et par celui de Marterat ; les réfugiés arrivent à Seix. Certains d’entre eux resteront à Seix, c’est par exemple le cas de Jacques dont le frère, gradé de l’armée
républicaine, a été exilé en France sur les côtes de la Manche pour participer à la construction des blockaus allemands. Jacques lui sera hébergé à l’hôtel Dougnac et il y restera comme
homme à tout faire.
Paul Broué se souvient qu’à cette époque des enfants seront accueillis au cours complémentaire de Monsieur Palmade et qu’ils s’y verront offrir un goûter avec du pain, de la
confiture, du chocolat et des bonbons.
C’est en septembre 1939 que la seconde guerre mondiale est officiellement déclarée.
Le père de Paul, encore hanté par l’horreur de la première guerre mondiale, est effondré par cette nouvelle. Il décédera quelques mois plus tard, en décembre 39, d’une crise cardiaque : il n’a
qu’un peu plus de 50 ans…
Désormais, la mère de Paul va continuer de gérer, seule, la pension familiale.
Odette, la sœur de Paul est devenue institutrice en Normandie ; Paul, lui se trouve toujours à Mirepoix mais il n’est plus pensionnaire : il loge désormais au Rumat, chez un bourrelier
nommé Eloi Laffont. Paul revient de temps à autre voir sa mère et pour cela prend parfois le train entre Foix et Saint Girons mais enfourche le plus souvent son vélo !
Paul voudrait travailler mais, en cette période de guerre et, qui plus est, lorsqu’on réside dans une région transfrontalière, besoin est de prouver sa nationalité ! Paul a conservé le certificat que lui délivre à cette époque le juge de paix du chef-lieu de canton d’Oust. Ce certificat porte la mention « République française" et non « Etat français ».
En juillet 1942, Paul reçoit une proposition de travail dans les Fonderies Degro & Bonnet de Pamiers, travail qui lui serait payé 5 francs de l’heure mais,
renseignements pris, le travail est dur, dangereux (métal en fusion, chaleur intense et peu de sécurité) ; de plus, au vu de son jeune âge, Paul a toutes les chances, s’il accepte ce
travail, de se faire embarquer tôt ou tard par un convoi en partance pour l’Allemagne…
C’est alors que la vie de Paul va basculer.
Le temps de l’engagement et de la résistance
Paul, comme son père en son temps, n’a pas du tout envie de rester passif. Il décide
donc de s’engager. Il veut rejoindre les Forces Françaises Libres basées en Afrique du Nord.
C’est en compagnie de six de ses camarades – dont son grand ami Albert Sans-, que
Paul intègre la caserne Lapérine de Carcassonne comme engagé volontaire, le 5 novembre 1942 dans la cavalerie motorisée.
Mais il est des moments où l’Histoire se resserre et se densifie !
Le 8 novembre 1942, les alliés débarquent en Afrique du Nord ; le 11 novembre les
allemands envahissent la zone non occupée et arrivent à Carcassonne ! Un certain flottement et un climat de panique règnent alors dans la caserne : les engagés sont envoyés dans une autre
caserne, à Montpellier mais, le lendemain, on les renvoie vers Carcassonne où ils sont finalement affectés au 15e régiment d’artillerie.
Habillés de pied en cap, chaussés de guêtres de cuir, ils pratiquent alors un
entraînement militaire… avec des chevaux !
La démobilisation prend effet le 27 novembre 1942.
Avant son départ et en préparant son paquetage, Paul a subtilisé et caché un revolver
dans sa valise mais, suite à la dénonciation de son geste par le caporal au capitaine de la Compagnie, Paul est sommé de rendre cette arme.
Toutefois, Paul se souvient que le capitaine viendra lui serrer la main avant qu’il ne
reparte et que, devant toute la compagnie, le capitaine lui souhaitera haut et fort bonne chance, voyant sans doute dans le vol du revolver un premier acte de résistance.
Paul revient à Seix. Il touche 1800 francs par mois à ne rien faire !
Une aubaine à une époque où sa sœur, qui est institutrice en Normandie, ne touche, elle, que 1200 francs par mois !
Mais, là encore, il est des moments où l’Histoire s’accélère !
En décembre 1942, Paul reçoit une lettre de Monsieur Rouquette, datée du 16 décembre et
portée par un jeune homme, un certain Mr Scheffer.
Par le biais de cette lettre, Monsieur Rouquette demande à Paul et à sa mère dont il
connaît les sentiments antifascistes de bien vouloir donner asile au porteur de la dite lettre.
En fait, le véritable nom du porteur de cette lettre est Jean Saint Félix, et la véritable demande consiste en fait à essayer de faire passer ce jeune homme en Espagne…
Les passages d’évadés en Espagne se multiplient dans la vallée à cette époque, ils ne sont pas rares ni à Seix ni dans les vallées alentours.
A Seix, les évadés arrivent parfois camouflés sous la bâche de l’impériale de
l’autobus de liaison St-Girons – Seix dont les chauffeurs sont Firmin Bergé et Charles Escassut.
L’accueil des évadés se fait en général dans les hôtels ou à la pension
Broué.
Les passages vers l’Espagne sont organisés par Jeannot Sentenac, surnommé « Réou
», boulanger à Seix.
Paul est chargé d’accompagner Jean Saint Félix – dont il apprendra plus tard qu’il était aviateur et qu’il voulait rejoindre la RAF en Angleterre-, et deux autres jeunes vers le Moulin-Lauga.
Il prend leurs sacs sur son vélo et leur demande de le suivre à bonne distance, de manière espacée sans toutefois le perdre de vue. Les trois hommes le suivent donc
sur la route d’Espagne, le long du Salat, jusqu’au Moulin-Lauga distant d’environ 4 kilomètres.
Là, le rendez vous avec Jeannot Sentenac qui amène, lui, de son côté, deux autres personnes, a été fixé à l’auberge-épicerie de Julie Roufast au
Moulin-Lauga.
Mieux valait en effet se disperser et agir dans la plus grande discrétion !
L’auberge de Julie est située à l’exact croisement du Salat et de l’Estours.
Les deux personnes qui accompagnent Jeannot Sentenac sont le père
Oriol – qui confie son portefeuille et sa montre à Paul afin qu’il les expédie à
sa femme-, et son fils.
A 17 heures précises, la patrouille allemande composée de deux soldats armés descend à
pied d’Estours vers Seix : la route vers la montagne est libre, les hommes peuvent enfin s’y engager !
A partir de là, Paul s’en retourne à Seix, c’est Jeannot qui prend en charge le groupe
de cinq, direction le port d’Aula. Mais, si les trois premières personnes atteignent bien le col, il n’en va pas de même pour le père Oriol et son fils qui, après un temps de pause, s’égarent et
redescendent dans l’étroite et sombre vallée d’Angouls.
Le fils va y mourir, – sans doute de froid et d’épuisement-, tandis que le père
redescend lui dans la vallée jusqu’à Couflens, puis regagne Seix où il alerte la gendarmerie.
M. Palmade Directeur du cour complémentaire de Seix, assistera à l’inhumation du fils Oriol, il y emmènera même ses élèves comme pour lui rendre un ultime hommage mais, tout comme Paul, Jean Souque, professeur au Cours complémentaire, par prudence face aux possibles investigations allemandes et à la répression qui n’aurait pas manqué de s’en suivre, n’assistera pas à l’enterrement.
Un fait étrange et pour le moins incongru se produisit à peine quelques jours après
l’enterrement, un inspecteur de Foix vint en visite au cours complémentaire et demanda aux élèves de « raconter par écrit l’événement » auquel ils avaient assisté, cela ne laisse de surprendre.
De là à penser que Jean Souque, dont le frère Henri s’était déjà évadé quelques mois auparavant, devenait à son tour l’objet d’une étroite surveillance de la part des autorités, il n’y a qu’un
petit pas que Paul n’hésite pas à franchir !
Les gendarmes de Seix, malgré les velléités des allemands qui voulaient se saisir du
père Oriol refusèrent de le livrer. Paul rencontra une dernière fois le père Oriol chez le coiffeur Canitrot et put lui remettre furtivement le portefeuille et la montre que le père Oriol lui
avait confiés la veille.
Au début de l’année 1943, Paul est réquisitionné avec quelques uns de ses camarades comme gardes-voies aux Cabannes. Albert Sans, son ami de toujours, fait partie du groupe mais Charles Kauffmann, lorrain de Seix qui épousera plus tard Caroline de Picou est là, lui aussi ainsi que Grosjean.
Le travail consiste à garder la voie ferrée et à la surveiller de minuit à 7 heures du matin. Il arrive
souvent à Paul de s’endormir sous le tunnel et c’est par un signal sonore, en tapant un bâton sur les rails qui font écho, qu’Albert avertissait son ami d’un éventuel contrôle !
Le groupe déjeune à la cantine des ouvriers d’Aston où le barrage est en construction. Le couple qui
s’occupe de la cantine se montre généreux avec eux et souvent, Paul et ses camarades trouvent dans leur assiette un paquet de cigarettes…
Les Cabannes comme Seix sont alors des villages situés en zone frontalière où les laissez-passer sont obligatoires.
Un certificat de résidence délivré au groupe par le maire des Cabannes, permet à Paul et à ses camarades de circuler librement en vélo, après avoir présenté le dit certificat aux allemands.
A la longue, les autorités remarquent toutefois le peu de motivation de ces jeunes à
surveiller avec sérieux la voie ferrée.
Paul et Albert, cherchant à éviter des sanctions qu’ils savent prochaines, décident de
rentrer à Seix.
Considérés dès lors comme déserteurs, ils risquent maintenant le Service de Travail
Obligatoire, peut être pire !
Nécessité fait loi, il faut qu’ils s’évadent à leur tour et de manière urgente, même si
l’extrême prudence est encore de mise à Seix car la mère de Paul héberge à ce moment là dans sa pension… deux allemands !
La décision de l’évasion est rapidement prise. Paul et Albert tiennent malgré
tout à faire un ultime aller-retour Les Cabannes-Seix afin de régler leur dû ! C’est grâce au tandem prêté par Mr Bovyn qu’ils effectuent cet aller-retour éclair !
L’’évasion et l’emprisonnement
Nous sommes le 5 juillet 1943. Pour l’évasion vers l’Espagne, le rendez-vous est fixé à minuit précise.
Dans l’après-midi, la mère de Paul lui prépare son sac y glissant un sauté de lapin, un gros morceau de pain, des chaussettes et un pull, deux mouchoirs et un
couteau. Le sac est bouclé, les chaussures prêtes : Monsieur Baros, le cordonnier a ressemelé une paire de crampons de foot avec des clous à œillets, vissés sur la semelle de cuir épais.
Chaussures légères mais qui agrippent, Paul est paré !
Albert Sans arrive chez Paul à 22 heures comme prévu. A minuit précise Paul va frapper deux coups à la porte de Jean Souque – qui a reçu une convocation pour le STO
et doit urgemment, lui aussi, passer en Espagne ! -.
Jean sort suivi d’Albert Dougnac, fils de Marie de Galant qui tient l’hôtel Dougnac sur la place de l’Allée. Il y a là aussi René Bénazet de Vic
d’Oust et Henri Camel, le fils de l’ancien député…Paul raconte :
« Nous prenons le sentier du Pouech, passons derrière le château, longeons ma maison où Albert Sans nous attend. Nous sommes prêts. J’attrape ma musette. C’est l’heure du départ. Nous nous faufilons par la rue du Roy jusqu’au Campot. Quelqu’un nous suit ! Comme je ferme la marche je me retourne et reconnais ma mère qui ne se résout pas à me laisser partir ainsi. Je la prie de faire demi tour mais, à l’intérieur de moi, j’ai le cœur serré. Nous montons dans le bois du Cos. Arrivés au chemin des Gardes, nous faisons une courte pause car le départ a été rapide, la marche soutenue. Pour mieux nous suivre en file indienne, nous nous attachons un mouchoir blanc à l’arrière du sac à dos. Il fait nuit noire et nous devons longer un ravin. Après avoir contourné le Cos, nous redescendons vers Aunac, au camp de Peyret où se trouve la maison des passeurs : celle d’Etienne et de son cousin Isidore Andreu. Le frère d’Etienne, Jules est, lui, déjà passé en Espagne.
Jean Souque s’avance seul vers la maison. A l’appel convenu, le père Andreu sort et nous conduit dans une grange, à l’écart de la maison. Nous attendons Etienne parti chercher dans la
vallée, du côté d’Alos, deux autres personnes évadées du camp de Noé. Il les ramène par la Soumère, le hameau même où sera assassiné par les allemands le jeune passeur Louis Barrau quelques
mois plus tard, en septembre 1943…
A 4 heures du matin Etienne est de retour, il donne le signal du départ. Nous sommes neuf avec le passeur. Par un sentier bordé de buis, nous atteignons la forêt domaniale de Seix par le Champ de l’Ars. La bruine et le brouillard persistent et nous masquent aux éventuels regards. Nous prenons même le risque d’allumer un feu pour nous réchauffer un peu lors d’un temps de pause de quelques heures. Je suis incapable de savoir par où nous passons exactement : je ne connais pas ces endroits, n’y suis jamais venu : ce n’est que bien plus tard que j’apprendrai que nous sommes passés par le col du Soularil (1579m.) puis au pied du pic de Lampau, traversant ensuite le col de Craberous (2388m.) pour nous diriger vers la cabane des Espugues.
Etienne est en tête tandis qu’Isidore attend les retardataires. Nous prenons un casse-croûte avant de repartir au dessus de l’étang de Milouga, effectuons la traversée des Laouzets (grandes dalles de schiste et rochers à fleur de terre) et atteignons le col du Pecouch proche du refuge des Estagnous. Il neige et nous n’y voyons rien. Etienne qui connaît bien l’endroit nous arrête et prend ses repères, je le suis. Nous trouvons le refuge, d’une main Etienne tient son revolver, de l’autre sa lampe : il pousse la porte du refuge : personne, une chance ! au coup de sifflet du passeur, les autres arrivent, il est 22 heures ».
Là le petit groupe se repose et, vers 5 heures du matin, se remet en route vers la frontière. La fatigue se fait sentir mais les camarades s’entraident, Jean Souque prend le sac d’Albert qui commence à tirer la langue. La montée dans les éboulis vers le Col de la Clauère est très pénible, Paul a le vertige mais Etienne l’encourage lui disant de mettre ses pas dans les siens. Enfin, un peu plus tard, là haut, c’est la frontière. Il est 9 heures du matin.
C’est là que les passeurs s’arrêtent.
Les hommes payent Etienne et Isidore : 2000 francs chacun, c’est le prix fixé. Mais les
évadés du camp de Noé qui n’ont rien, eux, ne payent pas ; Paul qui lui a un peu plus d’argent paye, en plus de sa part, les 1000 francs qui manquent à Albert Sans. C’est aussi cela,
l’entraide !
Les adieux sont brefs.
Après avoir été interrogés, avoir décliné de fausses identités (pour sa part, Paul
prétendra s’appeler « Brouet » et habiter « 2 rue de la Côte pavée à Toulouse » ), après qu’on les aie détroussés, les voilà enfermés dans une pièce sordide où se trouvent déjà
d’autres prisonniers. Littéralement morts de fatigue, ils s’endorment à même le sol en terre battue.
C’est Jean Souque qui le réveille après avoir lui-même été secoué brutalement par les
carabiniers qui cherchent en criant « Brrraouwé » ! : Paul Broué a été choisi par les carabiniers pour compléter un groupe de neuf prisonniers arrivés précédemment ; tous doivent être
évacués immédiatement vers la prison de Sort. Le 8 juillet, Paul quitte donc ses camarades.
Après une marche à pieds d’environ dix kilomètres, le groupe atteint Esterri de Aneu.
Là le voyage jusqu’à Sort a lieu dans une camionnette de lait, les hommes sont assis sur des bidons. Pas question de se payer l’hôtel ! Paul dort à la prison de Sort.
Le lendemain, 9 juillet, c’est le jour de ses vingt ans !
L’autobus les emporte vers la prison de Lérida déjà bondée de prisonniers politiques, –
les républicains espagnols – et d’évadés de France.
Vérification des identités (il veille à ne pas se tromper vu que tous donnent de fausses identités et de fausses adresses !), rituelle prise des empreintes
digitales puis les voilà sommés de se déshabiller (contrôle des poux) ; après qu’ils se soient rhabillés, ils pénètrent dans une grande cour où ils retrouvent des connaissances,
notamment des gars de Sentenac.
Le barbiero fait son œuvre, il tond les cheveux. Commence alors le temps de l’emprisonnement. Paul retrouve là Pierre Faur, Jean Bergés, André Duran et Jules
Andreu.
Le lendemain 10 juillet arrivent à la prison de Lérida, plus connue sous le nom de Séminario viejo les copains de Seix laissés la veille à la
prison de Sort !
Au Seminario viejo, les conditions de vie sont plus que sommaires !
« Pour les repas nous disposons d’une boîte de conserve vide en guise de bol ou d’assiette, on nous sert dans un chaudron une mauvaise soupe,
pâteuse à souhait, ou surnagent quelques haricots verts. Un jour, j’y trouve une souris morte que, pour ne pas dégoûter les autres, je m’empresse d’aller jeter aux
tinettes…
Les conditions d’hygiène sont pires encore ! Dans le dortoir où nous sommes quelques 150 ou 200 prisonniers, nous sommes infestés de punaises. Elles
tombent du plafond. Certains d’entre nous s’amusent à les écraser sur les murs en les comptant. C’est dégueulasse… Les poux, la gale…un véritable cauchemar… J’ai tout attrapé !...
»
La nuit, pour ne pas s’endormir, les sentinelles s’appellent et entonnent « falta la una,, la dos, la tres »…Le matin, à la sonnerie du clairon, suprême humiliation, les prisonniers sont tenus de se rassembler en colonne par deux dans la cour et de crier « Viva Franco, arriba España ! »
La nuit, pour ne pas s’endormir, les sentinelles s’appellent et entonnent
« falta
la una,, la dos, la tres »…Le matin, à la sonnerie du clairon, suprême humiliation,
les prisonniers sont tenus de se rassembler en colonne par deux dans la cour et de crier « Viva
Franco, arriba España ! »
Pour rompre l’ennui, Albert Dougnac a fabriqué un jeu de
dames avec des cailloux et des bouts de papier noirs et blancs. Paul joue avec lui. C’est aussi à cette époque qu’Albert, toujours pour tromper l’ennui et parce qu’il manie bien le crayon, a
l’idée de croquer quelques dessins sur un calepin, dessins depuis confiés au musée par sa femme et ses enfants et dont on peut voir aujourd’hui qu’ils illustrent la vie en prison.
« Un
matin nous fûmes priés d’aller nous confesser. » nous raconte Paul.
On voudra bien se souvenir à cet égard de l’étroite collusion pendant le franquisme de l’église et de l’état : les franquistes bénéficient de l’appui
inconditionnel des évêques, ils sont également soutenus par le puissant Opus dei ; pendant sa dictature militaire, Franco publiera d’ailleurs une loi de succession qui définit l’Espagne
« Etat
catholique, social et représentatif », s’instituant régent à vie de la monarchie.
« Albert
Dougnac, Albert Sans et moi-même furent les seuls à refuser cette confession obligée. Mal nous en pris ! La répression ne tarda pas !
Nous ne fûmes pas inscrits sur la liste des prisonniers désignés pour partir à Rocallaura, sorte de village thermal – un peu à la façon d’ Aulus-, situé sur un rocher isolé mais où les
prisonniers pouvaient se promener librement dans l’enceinte réservée, et où les conditions de vie étaient nettement plus agréables ».
Jean Souque, René Bénazet, Henri Camel eurent eux ce privilège.
« Albert
Dougnac et moi devions partir vers le sinistre camp de Miranda de Ebro. Menottés deux à deux, – Albert était mon co-détenu-, nous prîmes le train pour le camp de Miranda via Zaragoza
et Logroño. Albert Sans faisait également partie du voyage.
L’arrivée et le départ à chaque station nous valait à chaque fois une nouvelle prise d’empreintes et une nième déclinaison de nos identités en même temps qu’un changement de
gardiens… »
Deux jours après, nouveau départ, cette fois vers la prison de Logroño. Paul nous conte comment il doit à un carabinier, plus humain que d’autres,
de lui avoir donné alors un excellent conseil : « à
l’arrivée au camp de Miranda, dis-leur que tu n’as que 18 ans ! »
« Je
venais d’en avoir 20 » nous dit Paul, « mais
j’étais encore imberbe et pouvais en effet donner l’illusion de n’avoir que dix huit ans ! »
Ce n’était pas le cas d’Albert Dougnac, plus âgé, 22 ans à l’époque- plus trapu, plus carré aussi ! Paul transmet le conseil du carabinier aux autres détenus. On le
met à part avec cinq autres dont Albert Sans tandis qu’Albert Dougnac lui, est emmené vers le camp de Miranda Del Ebro dont la réputation est effrayante et où il va connaître
l’enfer.
Redirigés vers Lérida par le même itinéraire, le petit groupe retrouve le carabinier qui a été de si bon et qui leur ôte les menottes pour le voyage. Il
pousse même la bonté jusqu’à aller leur acheter un pistolet de pain (petit pain au lait) et du butifar (
la butifarra est une sorte de saucisse catalane).
Le retour vers Lérida s’effectue avec les mêmes haltes qu’à l’aller mais, au lieu de réintégrer la prison de Lérida, les carabiniers les emmènent vers l’hôtel
des Quatre nations, détruit aujourd’hui et qui a cédé sa place depuis à un supermarché !
Le 11 septembre 1943, pris en charge par la Croix rouge les prisonniers recouvrent donc la liberté et mangent force pain et saucisse. « Le verre de vin que l’on
nous sert nous tourne la tête et suffit à nous faire nous endormir profondément » se souvient Paul.
Du jour où il sort de prison, la gale, les poux et la dysenterie que tous avaient contractés en prison disparaissent comme par enchantement !
« Le
lendemain de cette première nuit passée dans de véritables draps ( !), nous partons vers Barcelone sans menottes et sans carabiniers. Je suis affecté par la Croix Rouge à la pension hôtel Selecto
où je retrouve Jean Bergès et Pierrot Faur. Nous sommes donc quatre de Seix. L’hôtel est propre, on y mange bien. Pour la première fois de ma vie je vais goûter du riz aux moules ! La dame qui
tient la pension nous « soigne » bien ! Les horaires sont plus tardifs qu’en France, nous déjeunons vers 14 heures… »
« Les
seules contraintes sont alors, de ne pas nous promener à trois (deux c’est le chiffre maximum), de respecter chaque soir le couvre feu fixé à 21 heures et, chaque samedi, de signer le registre
spécial de la Guardia civil. »
Tous rongent leur frein mais quelques temps après se présente l’occasion de rallier l’Afrique du Nord. Réunion à la gare de Barcelona, décision est prise de
partir.
« Nous
partons en train à une quarantaine dans des wagons où nous dormons sur la paille. Nous traversons l’Espagne direction Malaga. A Madrid le train s’arrête et ceux qui étaient de l’autre côté
montent également dont Albert Dougnac qui nous rejoint alors… »
Albert Dougnac n’a pas connu un seul jour de liberté ; il a été enfermé, comme Jean Souque, au « carabosse », cachot d’internement où l’on a le sentiment de devenir fou en perdant totalement la notion du temps qui passe.
Les deux bateaux déchargent leur cargaison de phosphates et de sacs de blé (l’Espagne manque de tout à cette époque !) et chargent ensuite autant d’hommes qu’ils le peuvent.
Arrivés à Malaga, tous sont parqués dans les arènes où ils vont rester deux ou trois jours, où ils dorment sur le ciment avant d’embarquer sur deux bateaux, le Sidi Brahim et le Gouverneur Lépine.
Les deux bateaux déchargent leur cargaison de phosphates et de sacs de blé (l’Espagne manque de tout à cette époque !) et chargent ensuite autant d’hommes qu’ils le peuvent.
L’engagement dans les commandos de France
Sur le bateau Paul est tombé par hasard sur le service de « la cambuse » : à chaque fois que montaient dix personnes, un ticket était donné à la dixième lui
signifiant qu’elle était de service de cantine. Ça tombe sur Paul qui se retrouve donc de service de cuisine.
Heureusement nous dit Paul que… « je n’avais pas le mal de mer ! j’ étais fatigué mais je n’avais pas le mal de mer. Bergés, lui, il n’ a pas vu le jour de tout le
voyage ! Je le cherchais sur le bateau, il était à la rambarde, les bras en dehors. « Viens,
viens manger un peu ! » mais, « il savait
plus où il était le pauvre, tant il était malade ! »
La traversée a duré toute la nuit, mais, fait notable, une fois en haute mer les bateaux ont hissé le pavillon français – alors qu’au départ de Malaga, ils
battaient pavillon anglais- ; à la montée des couleurs les gars ont changé de calot, troquant le calot anglais pour le calot français et ils ont entonné La
Marseillaise.
Les deux bateaux avancent de front, l’un à côté de l’autre. Paul se souvient de ses impressions, de la peur et des sensations bizarres et
impressionnantes créées par le roulis et de tangage.
De Gibraltar à Casablanca, deux escorteurs encadrent les bateaux car on craint l’attaque de sous marins allemands. Paul se souvient : « On n’avait pas de
gilets, rien ! Les marins nous ont dit :« si
on est torpillé, on n’aura pas le temps de rien voir, ni de respirer, on coule et c’est fini !»
L’arrivée à Casablanca se fait en fanfare avec force café et biscuits mais moins d’une
heure après tous sont embarqués dans des camions en direction du camp de Médiouna. Là, un tri est opéré car toutes les nationalités sont mêlées, « il y avait même des allemands !
».
Paul apprendra plus tard, en discutant avec elle, qu’une femme qui
n’habitait pas encore Seix à l’époque se trouvait elle aussi sur le quai à Casablanca à ce moment ; elle y travaillait pour la Croix Rouge . Il s’agit de Josette Sorine qui, à Seix,
habite aujourd’hui « le châlet » ou " la pagode"
Tous sont mis en file ; un par un ils déclinent leur vraie identité cette fois
et sont interrogés pour savoir qui ils ont croisé, quels types d’ennuis ils ont connu … Des miliciens s’infiltraient et il s’agissait, grâce à ces questionnements, de les repérer autant que
faire se peut…
Comme Paul a parlé de son CAP d’ajusteur mécanicien, il est affecté avec d’autres au
matériel. Ils se rendent au kilomètre 22. Ils sont logés dans une grande ferme où il y a encore la photo de Pétain. Ils restent là presque tout un mois à végéter ; pour se désennuyer, le
soir, ils louent parfois un bourricot et une carriole ce qui leur permet d’aller à Meknès toute proche et de s’amuser un peu.
Une nouvelle affectation entraîne Paul vers l’école professionnelle de Dellys où on lui demande de fabriquer une pièce suite à quoi il est nommé caporal puis
instructeur. Mais, dans l’entrefaite, Paul apprend qu’une unité militaire se constitue, celle des Commandos de France.
Paul décide de s’engager dans cette unité. Il va subir comme tous les engagés volontaires dans les unités de choc un entraînement militaire intensif dans un
bataillon, d’abord au Maroc puis en Corse.
Albert Dougnac qui avait été prévenu dès son débarquement s’est déjà lui engagé dans le bataillon de commandos.
Pour Paul, le débarquement franco-américain du 15 août 1944 sur les côtes de Provence va précipiter l’action.
Paul embarque le 10 septembre 1944 à Ajaccio sur le Duguay-Trouin.
Le 14 septembre son unité débarque à Sainte Maxime, le 21 septembre les jeeps roulent vers Avignon ; le 26 septembre, c’est l’arrivée à Lyon, le 28 à Arbois. La
remontée vers le Nord continue et le 3 octobre l’unité atteint Besançon, le 4 octobre, elle est à Servance.
A Colmar, Paul échappera de peu à la mort dans l’explosion de la caserne où il se reposait après avoir accompli une mission dangereuse, caserne dont les
bâtiments ont été minés par les allemands avec des mines à retardement.
Les opérations commando se multiplient malgré le recul des allemands ; le Rhin ne sera franchi que le 8 avril 1945 et sera marqué par la rencontre avec les
russes.
Le 8 mai 1945, l’Allemagne nazie capitule, enfin vaincue.
Paul est démobilisé en décembre 1945.
Seix enfin retrouvé
Tout se passe comme si la boucle était enfin bouclée.
A la question « A
ton retour, as-tu revu tes camarades ? », voici ce que nous répond Paul un tantinet amusé :
« On
a commencé à marier Albert avec Ginette ensuite on a marié Bergès avec Simone, …Simone Gaston du Campourcy, puis on a marié Jean Souque avec Chibly, enfin… Paule, ils
avaient tous deux fait l’Ecole Normale ensemble et avaient été majors la même année… il n’y a que moi qui ne me suis pas marié ! conclut-il avec un sourire espiègle. »
Rappelons ici que Paul finira tout de même par se marier lui aussi et que personne à Seix n’oublie sa femme Marie, solide et robuste montagnarde, âpre à la
tâche.
Après avoir repris le magasin de cycles-motos de son père, il a travaillé comme électricien chez des particuliers puis a géré avec son épouse puis ces fils, une société de taxis et d’ambulances à Seix.
Paul a effectué son dernier chemin de la liberté en juillet 2005 à l'age de 82 ans.
Paul est décédé à Seix le 17 octobre 2020 à l'age de 97 ans.
Nous remercions l'association "Patrimoine Seixois" qui nous a permis de réaliser ce document
https://patrimoine-seixois.fr